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Alzire et les Incas. Les écrivains philosophes n’avaient pas caché leur goût pour les sauvages. Mais ils ne les connaissaient guère et ne se flattaient pas de les peindre exactement. Ils n’étaient soucieux, en fait, que de montrer l’innocence dans la nature. Chateaubriand vit ce qu’on n’avait pas vu jusqu’à lui. Quand il porta sur ses deux Floridiennes son regard enchanté d’amant et de poète, il découvrit la beauté étrange. Le premier, il infusa, il fit fermenter l’exotisme dans la poésie, et il composa un poison nouveau que la jeunesse du siècle but avec délices. Pourtant il s’en faut que les deux filles de son souvenir et de sa rêverie, Atala et Céluta, soient de véritables sauvages. Ces figures ont encore des proportions classiques ; leur sein est moulé sur l’antique et le souffle de leur poitrine emprunte son rythme aux vers de Racine. Atala, les mains jointes sur son crucifix, suit sans peine la longue théorie des amantes tragiques de l’Occident chrétien. Elle a du sang espagnol dans les veines. Et ce noble sang a mangé celui qu’elle tient de « Simaghan aux bracelets d’or ». Certes, elle a trahi « les vieux génies de la cabane ». Telle qu’elle est, elle est adorable, mais ce n’est point un être primitif, ce n’est point une créature simple.

Il était réservé à Pierre Loti de nous faire goûter jusqu’à l’ivresse, jusqu’au délire, jusqu’à la stupeur l’âcre saveur des amours exotiques.

Il est heureux pour lui et pour nous que M. Pierre Loti soit entré dans la marine et qu’il ait beaucoup