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lui : « Il arrive que, sans la connaître, on estime une personne sur sa bonne réputation, et, en se montrant, elle détruit l’opinion qu’on avait d’elle. » René Vinci se vit trahi. Et, comme il souffrait trop, il voulut se tromper lui-même : « Qui donc, demande alors M. Paul Bourget, qui donc a pu aimer et être trahi sans l’entendre, cette voix qui raisonne contre toute raison, qui nous dit d’espérer contre toute espérance ? C’en est fini de croire, et pour toujours. Comme on voudrait douter au moins ! » Un jour, Vinci ne put plus douter. Il devint horriblement jaloux. La jalousie produit sur nous l’effet du sel sur la glace : elle opère avec une effrayante rapidité, la dissolution totale de notre être. Et, comme la glace, quand on est jaloux, on fond dans la boue. C’est une torture et une honte. On est condamné au supplice de tout savoir et de tout voir. Oui ! tout voir, hélas ! car imaginer, c’est voir ; c’est voir sans même la ressource de détourner ou de fermer les yeux.

Vinci avait vingt-cinq ans : c’est l’âge où tout est facile, même de mourir. Certain de ne pouvoir posséder Suzanne à lui seul, il se tire un coup de revolver dans la région du cœur… Rassurez-vous, il n’en mourra pas. Le poumon seul est traversé. Les médecins répondent de la guérison. Il renaîtra lentement à la vie ; il se sentira faible, il lui viendra une grande pitié de lui-même ; il s’aimera à la manière attendrie des malades, et il ne vous aimera plus, Suzanne.

Ce livre de M. Paul Bourget est une belle et savante