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la vie littéraire.

les plus sages et les plus apaisés ; mais encore les plus ardents, ceux de la première heure, Lélia et Jacques. On y trouvera sans doute une revendication bien audacieuse des droits de la passion. C’est là, comme disait Chateaubriand vieux, une offense à la rectitude de la vie. Mais l’auteur de René n’avait-il pas semé aussi par le monde des paroles brûlantes ? D’ailleurs, à quoi bon nier les droits de la passion ? La passion ne demande pas sa part à la société, elle la lui vole avec la fureur du désir et le calme de l’innocence. Rien ne l’arrête : elle a le sentiment de son inévitable fatalité. Comment pourrait-on l’effrayer ? Elle fait ses délices de l’angoisse et de l’inquiétude. Les religions mêmes n’ont rien pu contre elle ; elles lui ont seulement offert une volupté de plus : la volupté des remords. Elle est à elle seule sa gloire, son bonheur et son châtiment. Elle se moque bien des livres qui l’exaltent ou la répriment.

Exalter les passions, c’est ce que les grands poètes ont fait bien avant les grands romanciers. Phèdre, Didon, Françoise de Rimini, Juliette, Ériphyle, Velléda ont précédé Lélia et la Fernande de Jacques. Il peut y avoir du danger, sans doute, à remuer ces flammes. Où n’y-a-t-il pas du danger, et qui peut dire, sa journée faite : je n’ai nui à personne ? Mais ces sentiments touchent aux côtés généreux de la nature humaine. Les traiter, c’est glorifier l’homme dans ses joies les plus douloureuses et les plus touchantes. Le roman qui décrit le vice est bien plus funeste que