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d’une essence trop subtile pour tomber sous nos sens. Ce n’est qu’un rêve, mais le rêve a ses droits. Je veux rêver des génies aériens ; ils flottent dans les espaces éthérés. Je me les figure plus intelligents et plus doux que ces Elohim que M. Renan nous montre épars autour des tentes du nomade Israël. Je veux aussi qu’ils soient moins vains, moins indifférents, moins joyeux que les ombres légères dont la Grèce antique peuplait ses bois et ses montagnes. Mes génies seront, si vous voulez, des anges, mais des anges philosophes et savants, c’est-à-dire des anges d’une espèce toute nouvelle. Ils ne chanteront pas, ils n’adoreront pas : ils observeront. Je suppose que l’un d’eux, couché sur le bord d’un nuage, tourne vers la terre ses yeux plus puissants que nos télescopes et nos lunettes, et regarde vivre les hommes. Le voilà qui nous examine avec une intelligente curiosité, comme sir John Lubbeck observe les fourmis. Cet ange positif ne trouve rien à admirer dans la figure des petits êtres dont il suit les mouvements. Il n’est sensible ni à la force des hommes, ni à la beauté des femmes. Nous ne lui inspirons ni goût ni dégoût ; car sa pensée toute pure s’élève au-dessus du désir comme de la répugnance. Scrutant nos actions, il reconnaîtra qu’elles sont pleines de violence et de ruse, et il s’épouvantera de la quantité de crimes qu’enfantent sans cesse parmi nous la faim et l’amour. Il dira : « Voilà de méchants petits animaux. Ils se rendent justice puisqu’ils se mangent les uns les