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prit. Il tuerait l’honneur du monde. On ne verrait plus couler ni le sang des héros, ni les larmes des amants, plus douces que leurs baisers.

Au milieu de l’éternelle illusion qui nous enveloppe, une seule chose est certaine, c’est la souffrance. Elle est la pierre angulaire de la vie. C’est sur elle que l’humanité est fondée comme sur un roc inébranlable. Hors d’elle, tout est incertitude. Elle est l’unique témoignage d’une réalité qui nous échappe. Nous savons que nous souffrons et nous ne savons pas autre chose. Là est la base sur laquelle l’homme a tout édifié. Oui, c’est sur le granit brûlant de la douleur que l’homme a établi solidement l’amour et le courage, l’héroïsme et la pitié, et le chœur des lois augustes et le cortège des vertus terribles ou charmantes. Si cette assise leur manquait, ces belles figures sombreraient toutes ensemble dans l’abîme du néant. L’humanité a la conscience obscure de la nécessité de la douleur. Elle a placé la tristesse pieuse parmi les vertus de ses saints. Heureux ceux qui souffrent et malheur aux heureux ! Pour avoir poussé ce cri, l’Évangile a régné deux mille ans sur le monde.

Nous disions un jour qu’il est permis d’imaginer que notre planète, notre pauvre petite terre est entourée de formes invisibles et pensantes[1]. L’atmosphère peut, en effet, être habitée par des créatures

  1. Voir pages 186 et 187 du présent volume.