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M. CUVILLIER-FLEURY.

— Des souvenirs ! s’écria-t-il étonné. À votre âge, des souvenirs !

— Hélas ! monsieur, répondis-je en hésitant, n’ai-je pu noter mes impressions d’enfance ?

Mais il ne voulut rien entendre et reprit avec une sévérité dont je ne méconnus pas la secrète bienveillance :

— Monsieur, l’Académie ne verrait pas avec plaisir que vous eussiez des souvenirs.

Je confesse que je fis tout de même un petit livre de mes souvenirs.

Plusieurs fois, depuis lors, je visitai M. Cuvillier-Fleury dans la maisonnette de l’avenue Raphaël, où il terminait sa longue existence en un repos modeste et décent. Il était entouré de souvenirs. Je n’ai vu nulle part ailleurs tant de meubles en acajou plaqué et tant de tapisseries à la main. Tout, chez M. Cuvillier-Fleury, tout, portraits, statuettes, étagères, lampes de porcelaine, pendules à sujet, et jusqu’au petit chien en laines multicolores qui fait le dessus d’un tabouret, tout parlait du règne de Louis-Philippe, tout disait l’épanouissement de la vie bourgeoise.

Devenu aveugle, M. Cuvillier-Fleury supporta cette infirmité avec une admirable constance. Il gardait, dans son cœur encore chaud, l’amour des lettres et le goût des choses de l’esprit. Au bord de la tombe, et déjà le front dans la nuit éternelle, il parlait de l’Académie avec un filial orgueil dont l’expression restait attendrissante alors même qu’elle faisait sou-