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le fils d’un des frères d’André, Louis Sauveur. Ce beau vieillard manquait absolument d’atticisme. Il avait beaucoup tardé à publier les œuvres de son oncle, et il voulait mal de mort à ceux qui l’avaient devancé dans cette tâche. Il ne les nommait jamais par leur nom : il disait le premier éditeur pour désigner Latouche, à qui il reprochait également d’être menteur, voleur et borgne. « La notice du premier éditeur, affirmait-il, est un conte fait à plaisir. » Et il disait encore : « Le premier éditeur, qui était privé d’un œil et qui ne voyait pas très nettement de l’autre, a mal lu. »

Il accusait formellement le premier éditeur de lui avoir volé les manuscrits d’André Chénier. La mort de ce « premier éditeur » n’avait pas calmé sa haine. Il est à remarquer qu’il ne s’était plaint de rien tant qu’avait vécu Latouche. Soyons justes : ce Latouche n’avait manqué ni de tact ni de goût en publiant les poésies d’André. S’il fit subir au texte sacré quelques changements dont nous sommes justement choqués aujourd’hui, il servit bien, en définitive, la gloire du poète, alors inconnu. Mais M. Gabriel de Chénier ne voulait pas qu’on touchât à son oncle. C’était un homme extrêmement jaloux. Et, comme il avait l’esprit très simple, il s’imaginait que tous ceux qui s’occupaient d’André Chénier étaient des bandits. Il ne mettait pas la moindre nuance dans ses sentiments. Il poursuivait vigoureusement d’une haine égale la mémoire de M. de Latouche et la personne de M. de