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l’usurpateur Claudius avait mis, de votre temps, les affaires du Danemark.

Je crois qu’en effet vous aviez grand souci des destinées de votre patrie, et j’applaudis aux paroles que prononça Fortinbras quand il ordonna à quatre capitaines de porter votre corps sur un lit d’honneur, comme on fait pour les soldats. « Si Hamlet avait vécu, s’écria-t-il, il se serait montré un généreux roi. » Pourtant, je ne pense pas que votre mélancolie fût tout à fait celle de M. Émile de Laveleye. Je crois qu’elle était plus haute encore et plus intelligente. Je crois qu’elle était inspirée par un vif sentiment de la destinée. Ce n’est pas seulement le Danemark, c’est le monde entier qui vous paraissait sombre. Vous n’espériez plus en rien, pas même, comme M. de Laveleye, dans des principes de droit public. Que ceux qui en doutent encore se rappellent la belle et amère prière qui sortit de vos lèvres déjà glacées par la mort : « Ô mon bon Horatio ! si tu m’as jamais tenu pour cher à ton cœur, reste éloigné quelque temps encore de la suprême félicité et consens à respirer dans la souffrance au sein de ce dur monde, pour raconter mon histoire. » Ce furent vos dernières paroles. Celui à qui elles s’adressaient n’avait pas, comme vous, une famille empoisonnée de crimes ; il n’était pas comme vous un fatal assassin. C’était un esprit libre, sage et fidèle ; c’était un homme heureux, s’il en est. Mais vous saviez, prince Hamlet, vous saviez qu’il n’en fut jamais. Vous saviez que tout est