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M. de Ronchaud savait aimer. C’est un secret qu’il connut toute sa vie et qui l’empêcha de vieillir. M. de Ronchaud aima toute sa vie la poésie, l’art et la liberté.

Il fréquentait, sous l’empire, le salon de madame d’Agoult, centre de l’opposition républicaine. Il était lui-même un ardent républicain. Je me rappelle encore un article qu’il donna en 1856, dans la Revue de Paris, à propos du César de M. de Lamartine et d’une étude sur le même personnage par M. Troplong. Ce divin Jules passait alors de durs moments. On lui faisait tous les mauvais compliments qu’on ne pouvait pas faire à Napoléon III. M. de Ronchaud se conforma à cet usage. Il reprocha en termes couverts au fils auguste de Vénus d’avoir fait le 2 Décembre. Je crois bien que cet article fut poursuivi ; car il souleva beaucoup d’enthousiasme parmi mes camarades de classe. Nous en récitions des tirades dans les cours de récréation, et il ne me serait pas impossible d’en retrouver encore aujourd’hui quelques phrases dans ma mémoire : « Pour grands que soient les Césars, au dire de leurs flatteurs, eussent-ils fait un pacte avec la victoire, et le monde entier fût-il pour eux, nous…, etc., etc. » C’était bien naïf, mais que cela nous semblait beau !

M. de Ronchaud avait le génie intérieur et l’âme d’un grand poète. Il sentait comme Lamartine, mais l’expression ne servait pas toujours sa pensée. Il portait jusque dans ses vers cette négligence, cet