Page:La Vie littéraire, I.djvu/239

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tait un soin extrême à arranger à l’amiable les affaires d’honneur de ses amis ; mais il avait moins de patience quand il s’agissait des siennes. Tous les détails du duel qui eut pour lui une issue funeste ont été relatés minutieusement ; j’en veux rappeler quelques-uns qui sont des traits de caractère. Arrivé sur le terrain, il s’avança vers M. Émile de Girardin, son adversaire, et lui dit :

— Monsieur, vous m’avez menacé d’une biographie. La chance des armes peut tourner contre moi ; cette biographie, vous la ferez alors, monsieur ; mais, dans ma vie privée et dans ma vie politique, si vous la faites loyalement, vous ne trouverez rien qui ne soit honorable, n’est-ce pas, monsieur ?

— Oui, monsieur, répondit M. de Girardin.

Carrel tira le premier. M. de Girardin s’écria :

— Je suis touché à la cuisse, et fit feu.

— Et moi à l’aine, dit Carrel après avoir essuyé le feu de son adversaire.

Il eut encore la force d’aller s’asseoir sur un talus au bord de l’allée, où ses témoins et son médecin lui donnèrent les premiers soins. Puis ils le prirent dans leurs bras pour le porter dans une maison voisine. En passant auprès de M. Girardin, il voulut s’arrêter.

— Souffrez-vous, monsieur de Girardin ? demanda-t-il.

Il mourut après quarante-cinq heures de souffrances, à l’âge de trente-six ans, le 24 juillet 1836. Il avait donné dans sa vie trop courte, malgré de gra-