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Lui-même, ayant occasion de rappeler, en 1823, comme témoin, devant la cour d’assises d’Eure-et-Loir, son passage en Espagne, il le fit dans des termes qui trahissaient un noble repentir. « Vous savez, messieurs les jurés, dit-il, que le drapeau tricolore a eu aussi son émigration, et que les émigrations ne sont pas heureuses. » Il n’y a rien à ajouter à cette parole.

D’ailleurs, Carrel se trompa plus d’une fois. Mais il fut souvent héroïque, toujours désintéressé. Et cette tournure d’esprit donne à quelques-unes de ses erreurs mêmes un caractère superbe. Il ne considéra jamais son propre intérêt. Il avait un magnifique dédain de ce que le vulgaire estime de plus. « Il lui est arrivé une fois, dit son biographe, en jetant au feu des papiers indifférents, d’y jeter en même temps un billet de banque qui lui faisait grand besoin. » Carrel fut plus à l’aise dans la vie civile qu’il ne l’avait été dans la vie militaire. Il devint en peu d’années un grand journaliste. Par la force de son caractère plus encore que par celle de son talent, il conquit d’emblée l’opinion. Pourtant il faut estimer très haut les articles qu’il donna au Producteur, au Constitutionnel, à la Revue française, à la Revue américaine, à la Revue de Paris et ceux qu’il publia en si grand nombre dans le National, dont il était l’âme. Carrel fut un très grand journaliste. Il pensait vite et juste ; il s’exprimait avec une pureté et une fermeté classiques. Ceux qui savent encore ce que c’est que d’écrire admirent la robuste nudité de son style.