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épées et les insignes distinctifs de leur uniforme. Le gouvernement français ne crut pas devoir ratifier cette capitulation, et Carrel, condamné à mort par deux conseils de guerre, fut définitivement acquitté par un troisième. Je n’entrerai pas dans le détail de ces procédures. Je ne raconte pas la vie de Carrel, j’essaye de marquer seulement quelques traits de la physionomie de cet homme extraordinaire. C’est un fait digne de réflexion que Carrel put, en 1823, combattre contre des Français sans manquer à l’honneur. Plus d’un des généraux de l’armée royale qu’il avait combattue s’étaient trouvés dans l’armée des Princes en face des soldats de la République. L’inspirateur de la guerre d’Espagne, le ministre qui l’avait rendue inévitable, Chateaubriand, n’avait-il pas servi sous Condé contre la France ? Et pourtant Chateaubriand était un homme d’honneur. On peut dire, il est vrai, que Chateaubriand, homme de l’ancien régime, mit son honneur à combattre pour son roi, tandis qu’Armand Carrel appartenait par son origine et par ses sentiments à la France démocratique, et qu’il était sans excuse, ne pouvant avoir d’autre religion que celle de la patrie. Mais il faut considérer que le devoir est difficile dans les époques troublées. Les contemporains de Carrel l’ont absous. Leur jugement est rendu. Nous n’avons point qualité pour le reviser. Réjouissons-nous seulement des progrès du sentiment patriotique, qui interdirait absolument aujourd’hui à tout homme d’honneur la conduite que Carrel put croire permise.