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LE CHEVALIER DE FLORIAN.

sans devenir amoureux de la jeune Sophie. Il lui cacha cet amour avec d’autant plus de facilité qu’elle ne le partageait pas. Elle lui disait : « Mon frère, » et il ne tarda pas à sentir toute l’amertume de ce nom dont il avait d’abord goûté la douceur. Comme c’était un fort honnête jeune homme, il informa de ses vues et de ses sentiments la mère de la belle Sophie. La réponse qu’il obtint ne pouvait être favorable. La voici, telle qu’il nous l’a transmise :

« C’est au frère aîné de Sophie que je vais faire une confidence qui mourra dans son sein et que je crois nécessaire à votre repos. — Ne vous abusez pas ; renoncez à tout espoir. Ma fille est aimée du chevalier de Florian et ne paraît pas insensible à cet hommage ; je souhaiterais pourtant qu’elle en perdît le souvenir : car j’ai vu l’amour du chevalier décliner à mesure que notre fortune lui a paru baisser, et chaque jour de la Révolution en compromet les restes. N’imaginez pas que ce soit l’homme de ses bergeries ; il a trop de probité pour être un séducteur ; mais il a trop de prudence et de calcul pour être un Némorin. »

Il ne paraît pas que le rival qui entendit ces paroles les ait le moins du monde adoucies. Telles qu’il les rapporte, elles sont vraiment trop dures. Si le chevalier ne s’empressait pas d’épouser Mlle Le Sénéchal, il était facile de supposer à ses retards d’autres raisons que celle de la cupidité déçue. Suspect lui-même et sans cesse inquiété dans sa retraite de Sceaux, il pouvait raisonnablement juger