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LE CHEVALIER DE FLORIAN.

du sourire aux larmes. Elle était de huit ans plus âgée que le chevalier. Il l’aima, mais elle l’aima bien davantage. Il ne nous reste de ces amours qu’un seul et tardif témoignage. Longtemps, longtemps après la mort de Florian, Rose Gontier, devenue la bonne mère Gontier, amusait ses nouvelles camarades comme une figure d’un autre âge. Fort dévote, elle n’entrait jamais en scène sans faire deux ou trois fois dans la coulisse le signe de la croix. Toutes les jeunes actrices se donnaient le plaisir de lutiner celle qui jouait si au naturel Ma tante Aurore ; elles l’entouraient au foyer et lui refaisaient bien souvent la même question malicieuse :

— Mais est-ce bien possible, grand’maman Gontier, est-il bien vrai que M. de Florian vous battait ?

Et, pour toute réponse et explication, toute retenue qu’elle était, la bonne maman Gontier leur disait dans sa langue du dix-huitième siècle :

— C’est, voyez-vous, mes enfants, que celui-là ne payait pas[1].

Il est piquant de savoir qu’Estelle était battue par Némorin. La Révolution contraria vivement le chevalier de Florian, qui l’avait comprise d’une tout autre manière. Dès les premiers troubles, il se réfugia à Sceaux, où il vécut très retiré. Il écrivit le 17 février 1792 à Boissy d’Anglas :

« Je passe doucement ma vie au coin de mon feu,

  1. Sainte-Beuve, sur madame Desbordes-Valmore.