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nions des auteurs pour en faire des livres. Rien ne l’avait jamais troublé. Il concevait les passions comme des sujets de monographies curieuses et savait que les nations périssent en un certain nombre de pages in-octavo. Jusqu’au jour de sa mort, il travailla d’une ardeur égale, sans jamais rien comprendre. C’est pourquoi le travail ne lui fut point amer. Il faut l’envier, si l’on ne peut qu’à ce prix trouver la paix du cœur.

Bénissons les livres, si la vie peut couler au milieu d’eux en une longue et douce enfance ! Gustave Doré, qui imprimait quelquefois à ses dessins les plus comiques je ne sais quel sentiment de fantaisie profonde et de poésie bizarre, a donné un jour, sans trop le savoir, l’emblème ironique et touchant de ces existences que le culte des livres console de toutes les réalités douloureuses. Dans le moine Nestor, qui écrivit une chronique en des temps barbares et troublés, il a symbolisé toute la race des bibliomanes et des bibliographes. Son dessin n’est pas plus grand que le creux de la main, mais qui l’a vu une fois ne peut plus l’oublier. Vous le trouverez dans une suite de caricatures qu’il publia lors de la guerre de Crimée, sous ce titre : la Sainte Russie, et qui n’est pas, je dois le dire, la plus heureuse inspiration de son talent et de son patriotisme.

Il faut voir ce Nestor. Il est dans sa cellule avec ses livres et ses papiers. Assis comme un homme qui aime à s’asseoir, la tête enfoncée dans son capuchon, le nez sur sa table, il écrit. Tout le pays alentour est livré au massacre et à l’incendie. Les flèches obscurcissent l’air. Le couvent même de Nestor est si furieusement assailli que des pans de mur s’écroulent de toutes parts. Le bon moine écrit. Sa cellule, épargnée par miracle, reste