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mademoiselle Breslau. Elle a tracé de sa rivale un portrait qui, sans doute, n’est pas flatté : « Breslau est maigre, biscornue, ravagée quoique avec une tête intéressante, aucune grâce, et garçon, et seule ! » Elle se flatte que, si elle avait le talent de mademoiselle Breslau, elle s’en servirait d’une manière plus féminine. Alors elle serait unique à Paris. En attendant, elle travaille avec acharnement. C’est le 21 janvier 1882 qu’elle vit pour la première fois Bastien Lepage, dont elle admirait et imitait la peinture. « Il est tout petit, dit-elle, tout blond, les cheveux à la bretonne, le nez retroussé et une barbe d’adolescent. » Il était déjà frappé du mal dont il devait bientôt mourir. Elle-même se sentait profondément atteinte. Depuis deux ans, elle était secouée par une toux déchirante. Elle maigrissait. Elle devenait sourde. Cette infirmité la désespérait. « Pourquoi, disait-elle, pourquoi Dieu fait-il souffrir ? Si c’est lui qui a créé le monde, pourquoi a-t-il créé le mal, la souffrance, la méchanceté ?… Je ne guérirai jamais… Il y aura un voile entre moi et le reste du monde. Le vent dans les branches, le murmure de l’eau, la pluie qui tombe sur les vitres, les mots prononcés à voix basse, je n’entendrai rien de tout cela ! » Bientôt elle apprend qu’elle est poitrinaire et que le poumon droit est pris. Elle s’écrie : « Qu’on me laisse encore dix ans, et, pendant ces dix années, de la gloire et de l’amour ! et je mourrai contente à trente ans. S’il y avait avec qui traiter, je ferais un marché : — Mourir à trente ans passés, ayant vécu. »