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MARIE BASHKIRTSEFF.

la religion orthodoxe et elle lit l’avenir dans un miroir brisé, où elle découvre une multitude de petites figures, un plancher d’église en marbre blanc et noir, et peut-être un cercueil. Elle consulte le somnambule Alexis, qui voit dans son sommeil le cardinal Antonelli ; elle se fait dire pour un louis la bonne aventure par la mère Jacob. Elle a toutes les superstitions : elle est persuadée que le pape Pie IX a le mauvais œil. Elle craint un malheur parce qu’elle a vu la nouvelle lune de l’œil gauche. Ses idées changent à tout moment. À Naples, tout à coup, elle se demande ce que c’est qu’une âme immortelle qui se replie devant une indigestion de homard. Elle ne conçoit pas qu’un malaise de l’estomac puisse faire envoler la céleste Psyché, elle en conclut qu’il n’y a pas d’âme, que c’est « une pure invention ». Quelques jours plus tard, elle se met un chapelet au cou, pour ressembler à Béatrix, dit-elle, et aussi parce que « Dieu, dans sa simple grandeur, ne suffit pas. Il faut des images à regarder, des croix à baiser ». Elle est coquette, elle est folle ; mais cette tête de linotte est meublée comme celle d’un vieux bibliothécaire. À dix-sept ans, Marie Bashkirtseff a lu Aristote, Platon, Dante et Shakespeare. Les récits de l’histoire romaine d’Amédée Thierry la captivent. Elle se rappelle avec plaisir « un ouvrage intéressant sur Confucius ». Elle sait par cœur Horace, Tibulle et les sentences de Publius Syrus. Elle sent profondément la poésie d’Homère. « Personne, il me semble, ne peut, dit-elle, échapper à cette adoration