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pensée lourde et le style épais, il faudrait bien encore reconnaître sa puissance. C’est un dieu. Reprochez-lui après cela d’être quelquefois grossier : ses fidèles vous répondront qu’il ne faut pas être trop délicat pour créer un monde et que les dégoûtés n’en viendraient jamais à bout.

Une des qualités de ce grand homme me frappe particulièrement. Quand il est bon, quand il ne tombe pas dans le chimérique et le romanesque, il est un historien perspicace de la société de son temps. Il en révèle tous les secrets. Il nous fait comprendre mieux que personne le passage de l’ancien régime au nouveau, et il n’y a que lui pour bien montrer les deux grandes souches de notre nouvel arbre social : l’acquéreur de biens nationaux et le soldat de l’Empire. Il n’a jamais trouvé, ni sans doute cherché, pour faire valoir ses fortes études, quelque cadre étroit et charmant, comme celui que Jules Sandeau donna, par exemple, à Mlle de la Seiglière, quand il fit des portraits et des scènes de l’époque si bien comprise par Balzac. Sandeau avait un goût et une mesure que l’autre ne posséda jamais. Comme encadreur, Sandeau vaut infiniment mieux. Comme peintre, c’est tout le contraire. Pour le relief et la profondeur, Balzac ne peut être comparé à personne. Il a, plus que tout autre, l’instinct de la vie, le sentiment des passions intimes, l’intelligence des intérêts domestiques.

Les romans de Balzac servent d’autant mieux à