et rendent les hommes mille fois plus malheureux qu’ils n’étaient dans leur barbarie primitive. Ce sont des œuvres impies et abominables.
J’objectai timidement que la part de la statuaire et de la peinture est bien petite, en somme, dans les troubles de la chair et du sang qui agitent les hommes, et que l’art, au contraire, ravit ses amants dans des régions sereines où ils goûtent seulement des voluptés paisibles.
Mon interlocuteur ferma sa vieille petite Bible et poursuivit sans daigner me répondre :
— Il y a des images plus funestes mille fois que les images taillées et peintes dont Iaveh voulut préserver Israël : ce sont les images par excellence, les images idéales que conçoivent les romanciers et les poètes. Ce sont les types et les caractères, ce sont les personnages des romans. Ces figures-là vivent d’une vie active : elles sont des âmes, et il n’est que juste de dire que leurs malins auteurs les jettent parmi nous comme des démons pour nous tenter et pour nous perdre. Et comment leur échapper, puisqu’elles habitent en nous et nous possèdent ? Gœthe lance Werther dans le monde : aussitôt les suicides se multiplient. Tous les poètes, tous les romanciers sans exception troublent la paix de la terre. L’Iliade d’Homère et le Germinal de M. Zola ont également enfanté des crimes. L’Émile fit des terroristes et des égorgeurs de ceux que Jean-Jacques voulait ramener à la nature. Les plus innocents, comme Dickens, sont encore de