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Sa Majesté. J’avais mis Blome sur une fausse piste ; il me prit pour un casse-cou et s’égara. »

Sa puissance de travail est prodigieuse et ne peut être comparée qu’à celle de Napoléon. M. de Bismarck trouve, au milieu des grandes affaires, le temps de lire. En 1866, le 2 juillet, la veille de Sadowa, il visita le champ de bataille de Sichrow, couvert de cadavres, de chevaux éventrés, d’armes et de caissons. Au retour, il écrivit à la comtesse : « Envoyez-moi un pistolet d’arçon et un roman français. » Il sait par cœur Shakespeare et Gœthe. Il a une connaissance approfondie de l’histoire universelle. Il sent la musique, surtout celle de Beethoven. Il lui arriva d’emprunter au poème du Freyschütz un de ses effets oratoires les plus heureux. C’était en 1848. Les libéraux offraient à Frédéric-Guillaume IV la couronne impériale. L’altier junker, leur ennemi, s’écria : « C’est le radicalisme qui apporte au roi ce cadeau. Tôt ou tard, le radicalisme se dressera devant le roi, réclamera sa récompense et, montrant l’emblème de l’aigle sur le drapeau impérial, il lui dira : « Pensais-tu que cette aigle fût un don gratuit ? » Ces paroles sont exactement celles que prononce le diable quand il réclame l’âme de Max pour prix des balles enchantées.

Sa parole est rude et savoureuse. Elle abonde en images pittoresques et en expressions créées. Un jour, il parle d’un débat sincère à la tribune. « C’est, dit-il, la politique en caleçon de bain. » Il vante Lassalle, dont l’esprit lui plaisait. « Je l’aurais voulu