avec des cheveux très blonds, des yeux très noirs, une peau très blanche, cette femme n’était pourtant pas jolie. Un front bombé, des lèvres épaisses, un nez trop court la faisaient presque laide. Mais sa laideur rayonnait de beauté, de cette beauté dont Dieu illumine toute créature ici-bas quand elle aime et qu’elle se sent aimée » (p. 37). Marfa, en effet, aime et elle est aimée. Lucien de Hurecourt, fils d’un juge de paix franc-comtois, l’a aimée jusqu’au crime. Étant consul de France à Kherson, il a tué le mari, le vieux prince, par une nuit de neige, dans un traîneau et il l’a jeté aux loups qui poursuivaient l’attelage. C’est de cette situation que jaillit un drame étrange, puissant et si neuf qu’il était impossible de le concevoir il y a seulement cinq ans. Volkine, frappé par Lucien d’une balle de revolver, n’est pas mort sans parler. Il s’est accroché tout sanglant au meurtrier, il l’a saisi de ses deux mains ; l’une s’est portée sur le front, l’autre a serré la nuque, et il a dit : « Tu n’épouseras point Marfa ! Le jour de vos noces, toi-même, tu raconteras tout aux juges de ton pays. Je veux… » Puis il est tombé. Or, ce mourant qui parlait ainsi, ce vieillard énergique, savant, bizarre mystérieux, était, en physiologie, un disciple du docteur Charcot et de l’école de Nancy. Il pratiquait l’hypnotisme et connaissait sa propre puissance suggestive ; il savait que son meurtrier était, au contraire, un sujet nerveux, sensible, faible et facile à hypnotiser. Il était sûr, par conséquent, que ce
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