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pour proclamer d’avance leur infaillibilité ? Nous savons par expérience que, même dans les âges de haute culture, la postérité n’est pas toujours équitable. Il est certain qu’elle n’a point de règles fixes, point de méthodes sûres pour juger les actions. Comment en aurait-elle pour juger l’art et la pensée ? Madame Roland, qui fit d’assez mauvaise politique, mais qui avait le cœur d’une héroïne, écrivit des mémoires dans la prison d’où elle ne devait sortir — elle le savait — que pour monter sur l’échafaud. Elle traça de sa main virile sur la première page du cahier ces mots : Appel à l’impartiale postérité. La postérité ne lui a encore répondu, après un siècle, que par un murmure contradictoire de louanges et de réprobation. La muse des Girondins était bien naïve de croire à notre sagesse et à notre équité. Je ne sais si le roi Macbeth eut, en son temps, une pareille illusion. En ce cas, il aurait été bien trompé. C’était, en réalité, un excellent roi, habile et probe. Il enrichit l’Écosse en y favorisant le commerce et l’industrie. Le chroniqueur nous le montre comme un prince pacifique, le roi des villes, l’ami des bourgeois. Les clans le haïssaient parce qu’il était bon justicier. Il n’assassina personne. On sait ce que la légende et le génie ont fait de sa mémoire.

Loin d’être infaillible, la postérité a toutes les chances de se tromper. Elle est ignorante et indifférente. Je vois passer en ce moment sur le quai Malaquais la postérité de Corneille et de Voltaire. Elle se