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d’expression. Partout ils sont à l’atelier, j’allais dire à l’autel et dans le cloître.

On est saisi de respect pour cet obstiné travail que le sommeil interrompait à peine ; car ils observaient et notaient jusqu’à leurs rêves. Aussi, bien qu’ils missent par écrit, au jour le jour, ce qu’ils voyaient et ce qu’ils entendaient, ne peut-on les soupçonner un seul instant de curiosité frivole et d’indiscrétion. Ils n’entendaient ni ne voyaient que dans l’art et pour l’art. On ne trouverait pas facilement, je crois, un second exemple de cette perpétuelle tension de deux intelligences. L’une d’elles s’y déchira. Tous leurs sentiments, toutes leurs idées, toutes leurs sensations aboutissent au livre. Ils vivaient pour écrire. En cela, comme dans leur talent, ils sont bien de leur temps. Autrefois, on écrivait par aventure. Certaines personnes vivaient de leur plume, comme l’abbé Prévost, en écrivant beaucoup, mais sans dépense excessive et constante de force nerveuse. D’ordinaire, les pensions aidant, le métier d’homme de lettres était un métier fort doux.

Le dix-neuvième siècle changea cet usage. C’est alors que les hommes de lettres organisèrent toute leur existence en vue de la production littéraire. Balzac, Gautier, Flaubert prirent d’instinct des dispositions héroïques et traversèrent le monde comme d’incompréhensibles étrangers. Mais les Goncourt firent mieux encore. Sans se distinguer par aucune marque extérieure de la société dans laquelle ils