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fut justement frappé de l’intérêt de ces notes brèves et sincères, de ces impressions immédiates. Il pressa M. de Goncourt de les livrer tout de suite au public, et sa douce violence eut raison des scrupules de l’auteur. Nous connaissons déjà la première partie de ce Journal ; elle embrasse dix années et va jusqu’en 1861. La publication n’en présentait, ce me semble, aucun inconvénient grave. D’abord, on n’y parle guère que des morts. Les choses d’il y a trente ans sont des choses anciennes, hélas !

Toutes les figures qu’on revoit dans ce premier volume sont des figures d’autrefois. Gavarni, Gautier, Flaubert, Paul de Saint-Victor… On peut parler d’elles avec la liberté que nous rendent leurs ombres en fuyant. Quelques-unes s’effacent. D’autres grandissent. Gavarni devient dans le Journal presque l’égal des grands artistes de la Renaissance. Peintre, philosophe, mathématicien, tout ce qu’il dit est rare et profond. Il pense, et cela étonne au milieu de tout ce monde d’artistes qui se contente de voir et de sentir.

Il est à remarquer aussi que ce journal tout intime est en même temps tout littéraire. Les deux auteurs, qui n’en font qu’un, sont si bien voués à leur art, ils en sont à ce point l’hostie et la victime, ils lui sont si entièrement offerts, que leurs pensées les plus secrètes appartiennent aux lettres. Ils ont pris la plume et le papier comme on prend le voile et le scapulaire. Leur vie est un perpétuel travail d’observation et