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LE CAVALIER MISEREY.

leures. Je les tiens pour excellentes : c’était des raisons militaires. On veut l’indépendance de l’art. Je la veux aussi ; j’en suis jaloux. Il faut que l’écrivain puisse tout dire, mais il ne saurait lui être permis de tout dire de toute manière, en toute circonstance et à toutes sortes de personnes. Il ne se meut pas dans l’absolu. Il est en relation avec les hommes. Cela implique des devoirs ; il est indépendant pour éclairer et embellir la vie ; il ne l’est pas pour la troubler et la compromettre. Il est tenu de toucher avec respect aux choses sacrées. Et, s’il y a dans la société humaine, du consentement de tous, une chose sacrée, c’est l’armée.

Certes, à côté de ses grandeurs, elle a, comme toutes les choses humaines, ses tristes petitesses. C’est chose souffrante, puisque c’est chose héroïque. On peut mêler quelque pitié au respect qu’elle inspire. Le poète Alfred de Vigny l’a fait en un temps qui semble lointain, il l’a fait dans toute la douceur et toute la dignité de son génie. Comme M. Abel Hermant, il avait servi, non point il est vrai un an comme soldat, mais plusieurs années comme officier. Il avait quitté le régiment avec l’épaulette de capitaine. Quelques années après, en 1836, il publia son beau livre de Servitude et Grandeur militaires. Je ne sache point qu’aucun colonel de cavalerie ait fait brûler sur le fumier du quartier des exemplaires de cet ouvrage. Je n’ai vu nulle part que le noble écrivain ait eu la douleur de fâcher quelque ancien