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LE CAVALIER MISEREY.

s’appelle la poésie. En art tout est faux qui n’est pas beau. Chaque détail du livre de M. Abel Hermant fût-il parfaitement exact, je dirai que l’ensemble est sans vérité, parce qu’il est sans poésie. Ce n’est jamais, remarquez-le bien, par l’exactitude des détails que l’artiste obtient la ressemblance de l’ensemble. C’est, au contraire, par une vue juste et supérieure de l’ensemble qu’il parvient à une entente exacte des parties. La raison de cela est facile à concevoir. C’est que nous sommes ainsi faits, tous tant que nous sommes, que nous ne comprenons et ne sentons vraiment que la forme générale et, pour ainsi dire, l’esprit des choses, et qu’au contraire les éléments qui constituent ces choses échappent à notre observation et à notre intelligence par leur infinie complexité. Quelques lignes d’une forme entrevue suffisent parfois à nous donner un grand amour. Toutes les révélations du microscope n’y ajouteraient rien ; ou plutôt elles seraient importunes. L’art, c’est encore l’amour. C’est pourquoi il n’y faut pas de microscope.

Ce serait me flatter, sans doute, que de croire que l’honorable colonel du 12e chasseurs s’inspirait de ces idées quand il rédigea l’ordre du jour par lequel il interdisait à ses hommes la lecture du Cavalier Miserey. En ordonnant que tout exemplaire saisi au quartier fût « brûlé sur le fumier », le chef du régiment avait d’autres raisons que les miennes, et je me hâte de dire que ses raisons étaient infiniment meil-