Page:La Variété, revue littéraire, 1840-1841.djvu/7

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
— 3 —

est-il possible de l’affaiblir chaque jour davantage au bénéfice de l’autre, de celle qui fait toute notre dignité et nous apprend à élever notre âme vers les idées de raison, de beauté et de justice éternelle.

En un mot, la loi du progrès n’est pas moins réelle que les deux premières, et elle tend à nous affranchir de plus en plus des obstacles qui entravent et enchaînent notre libre activité.

C’est ce que le Paganisme n’a jamais senti. Les doctrines matérialistes, accréditées par son culte, et dont les sectes philosophiques de la Grèce ont plus ou moins porté à toutes les époques la sinistre empreinte, nous ont à l’envi représentés captifs dans notre enveloppe de chair et de sang, comme s’il nous fallait tourner dans une cage, sans fin, sans issue, sans espoir, condamnés à ce mouvement inerte qui se continue sur lui-même et toujours s’épuise en continuant toujours. Triste blasphème que le Christianisme a fait taire, en rendant à l’homme l’héritage de l’infini dont il était déchu !

Représentez-vous en effet un jeune homme de l’antiquité au moment où il sort des bras de sa mère, lorsqu’il franchit, pour n’y plus revenir, le seuil du Gynécée : le voilà qui s’avance au milieu de compagnons du même âge. Il a quitté sans regret cette femme qui lui a donné le jour et qui souvent ne l’a pas nourri de son lait, cette femme prisonnière dans son étroite enceinte, et qui semble une esclave un peu élevée au-dessus des autres, et mieux traitée que les autres. Dans la foule des jeunes gens, il apprend qu’il est autochthone, qu’il est originaire du sol où il marche, que sa race est pure, sans mélange, qu’elle n’a pas de rapport avec les autres races qui entourent la sienne. Un jour il voit son père irrité, le visage en feu ; celui-ci ordonne au chef de ses esclaves de fouetter de verges un malheureux qui a brisé un vase ; le sang ruisselle, et si le maître s’obstine, un cadavre est jeté à la voirie. Ainsi, le jeune Grec apprend que non seulement sa race est isolée des autres races, mais que de plus elle est conquérante, et qu’au lieu de