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— 181 bis —

À un signal du juge, on retira le tréteau ; on en substitua un autre plus élevé.

— Ah ! mes maîtres, permettez que le tourmenteur me signe, puisque je ne puis le faire ; car je sens tout mon ventre qui se rompt.

Le tourmenteur le signa.

— Eh bien ! Messire, consentez-vous à parler ?

Le chevalier souleva vers les questionnaires son visage pâli :

— Allons, ne me faites point languir.

Et la pinte se vida de nouveau ; puis un cri épouvantable fit tressaillir les juges sur leurs bancs ; la tête du torturé s’inclina en avant sur ses muscles affaissés ; ses yeux se fermèrent ; un gonflement subit envahit le bas-ventre : une rupture venait de s’y opérer. Sur-le-champ le tréteau fut enlevé, les cordes détendues, et le moribond déposé sur le lit devant le feu. Le chirurgien-juré, averti, ne tarda pas à arriver. Commissaires et conseillers, groupés autour de lui, suivaient toutes ses tentatives pour rappeler leur victime à la vie. Le chevalier ouvrit les yeux :

— Souffrez-vous beaucoup, Monseigneur ?… demanda le chirurgien.

— Moins que je ne mérite ; mais bien plus que je ne saurais dire.

— Votre navrure est grande, et de long-temps vous ne pourrez chevaucher sur votre destrier.

— Ah ! mon bon destrier ! jamais plus ne le monterai,

— Il ne tient qu’à vous, Messire, qu’il n’en soit pas ainsi, reprit un commissaire.

— Eh ! que ferais-je maintenant de la vie, seul, infirme, proscrit par les miens, impuissant à manier la lance ? Non ; mieux vaut mourir.

— Oui, mourir vite, et tout d’un coup ; mais pièce à pièce, et dans les tortures…

— Dieu aidant, je n’ai point faibli devant elles.