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reux (Suttan., 756) : d’où, avec plus de précision, l’ignorance est la quadruple méprise (viparyāsa) : prendre pour éternel ce qui est transitoire, pour heureux ce qui est douloureux ; pour pur ce qui est impur (le corps), pour un « self » ce qui est dépouillé de « self » : (c’est-à-dire les cinq skandhas, Madhyamakavŗtti, p. 460) ; — et, pour aller plus au fond, la notion d’unité essentielle ou artificielle [eka°, piṇḍasaṃjñā), de non-transitoire, de permanent, de non périssable, d’heureux, de « self »,… d’individu, de « moi » ou de « mien », relativement aux éléments qui constituent notre pseudo-individualité (Çālistambasūtra) ; en d’autres termes l’ignorance du Pratītyasamutpāda, et les illusions qui découlent de cette ignorance concernant notre passé, notre avenir, les relations de notre avenir et de notre passé, la nature de ce qui est produit par des causes (Visuddhim., xvii, apud Warren, p. 170, Nettip., 75).

D’après l’Abhidharmakośa (iii, 28), l’avidyā n’est pas seulement manque de connaissance, mais l’opposé (vipakṣa) de la sapience (vidyā), une connaissance fausse (mithyāpratipatti), tout comme a-mrita (non-ami), an-artha (non-utile), adharma (un-righteousness) signifient ennemi, pernicieux, injustice. L’avidyā rentre dans la catégorie ajñāna, non-connaissance ; mais elle est caractérisée comme kliṣṭa (kliṣṭam ajñānam), passionnelle, pécheresse, pernicieuse, sans doute parce que la confusion du transitoire et du non-transitoire, etc., est la mère de tous les kleśas, passions. D’après les docteurs du grand Véhicule, l’ignorance où demeurent les Arhats du vrai caractère des skandhas, n’est pas « passionnelle », n’est pas avidyā (Bodhic. ix).

On discute sur les rapports de l’avidyā avec l’attachement (rāga), la haine, les vues hérétiques (dṛṣṭi), et on a grand peine à se débrouiller parmi les énumérations techniques. Il paraît raisonnable de définir l’ignorance comme nīvaraṇa, « ce qui cache les choses comme elles sont[1], obscurité, hébétement (stimitatā) » : tandis que la soif est kleśa, lien (saṃyojana)[2].

  1. Le Madyamakāvatāra (216,10) explique comment le voile de l’ignorance, non seulement cache l’objet, mais encore le fait apparaître autre qu’il est.
  2. Voir Suttan. 1032-1033 (Nettip. 10, 11), Madhyamakavŗtti, 328, 542 ;