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l’ignorance, le principe intelligent (vijñāna, iii), entrant en contact (sparśa, i) avec le monde extérieur, et ressentant des impressions agréables ou désagréables (vedanā, vii), sera sujet au désir (tṛṣṇā, viii) : d’où des efforts ou volitions, des alimentations, des mouvements, et pour citer le nom qui est resté dans la liste classique, des « seizures » (upādānas, ix). D’où la nouvelle existence, dont il faut ici montrer les causes pour qu’on puisse s’efforcer de la rendre impossible en supprimant les dites causes. Cette nouvelle existence, — qu’on peut appeler simplement « existence » (bhava, x), car elle ne diffère en rien des existences présentes ou passées, — est souffrance, car elle est naissance, vieillesse, maladie, mort.

Telle est la signification qu’on peut légitimement prêter au chapitre des « doubles » (dukas) du Suttanipāta.

Mais, pour des raisons difficiles à déterminer, on voulut que le nombre des termes de la série fut douze. On y arriva, non sans gaucherie, 1o en distinguant bhava (existence) de jāti (naissance) et jarā-maraṇa (vieillesse-mort), qui en sont la glose (voir p. 2.) [Par cette distinction, en faisant de bhava un élément distinct, commandant jāti, etc., on préparait à la scolastique de grands embarras] ; 2o en introduisant dans la liste des « doubles » un fragment de la chaîne du Kalahavivāda : le sparśa (vi) a pour cause le nāmarūpa (iv) ; et 3o, pour plus de précision, en introduisant entre sparśa et nāmarūpa un intermédiaire utile, les āyatanas, ou sparśāyatanas (v), « lieux du contact », « causes du contact », c’est-à-dire les organes des sens. Par là, on définit le nāmarūpa, organisme humain, en tant qu’il est conditionné en vue du contact avec les objets extérieurs.

Nous sommes très loin de penser que la liste officielle des douze causes successives ait été constituée comme il vient d’être dit, et qu’on se soit servi à cet effet des documents que nous avons signalés ! Mais, dans cet ordre de conjectures, on a peut-être quelque chance d’approcher de la vraisemblance : « La dérivation de la souffrance est le cadre primitif, le fond de toute la théorie » (Senart). À côté de la formule de la deuxième Noble Vérité (tṛṣṇā-[nandī-rāga]-duḥkha), il y avait, ou on a construit,