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AVANT-PROPOS


matique de la rétribution des actes qui, en somme, n’est qu’une manière de se représenter la Justice Incréée^^1 ; une merveilleuse puissance d’illusion alimentée par un enthousiasme sobre et raisonneur, ce long espoir et cette vaste pensée de devenir un Bouddha souverain : mais on y verra moins d’orgueil que de force et de charité. Car si le futur Bouddha doit accomplir des tâches difficiles pendant les trois « périodes incalculables » de son noviciat, la plus difficile est de détruire l’amour de soi. Que les Arhats et les Hindous païens s’absorbent dans la contemplation béate du bout du nez ou d’un morceau du firmament aperçu à travers une lucarne ! puérils stratagèmes pour détruire la passion et l’ignorance ! La seule ressource est d’agir, de travailler sans relâche pour réjouir les Bouddhas et soulager les créatures.

Mais cette action n’est pas imprudente et désordonnée : il y a un code précis, une thérapeutique morale, ingénieuse et détaillée, d’une portée indiscutablement pratique et remarquablement équilibrée, surtout si l’on se souvient que les bouddhistes sont des Hindous. La « pratique du bodhisattva » est une école d’humilité, de ferveur et de bon sens : elle subordonne la méditation extatique à l’observation de la loi morale et à l’activité charitable ; elle ouvre des horizons illimités de sacrifice et de gloire, mais elle détermine les prières quotidiennes et descend jusqu’à la casuistique ; elle affermit le sol sous le pied du débutant ; elle est soucieuse de toutes les épines, de tous les faux pas.

Quelques mots sur cette traduction. Çântideva, quoiqu’il s’en défende, a écrit une œuvre littéraire. Sans être du premier ordre, il a du style et de la composition. Mais il est superflu de dire qu’il ne compose ni n’écrit à notre manière. Tantôt sec, technique, laconique ; tantôt imagé et diffus, suivant qu’il expose une doctrine austère ou rencontre un lieu commun. Ce qui gêne surtout le lecteur occidental, c’est ce caractère, commun à toute la littérature versifiée de l’Inde, que la stance constitue l’unité de style. Rarement une stance complète la précédente ; c’est par superposition, plutôt que par complément, qu’elle ajoute quelque chose

1. Dans d’autres livres du Grand Véhicule, Amitâbha fait tout à fait figure de « Dieu » et son paradis, « la Bienheureuse Terre », est, ou peu s’en faut, éternel.