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vont voter d’abord dans les primaires, qui nomment des délégués aux conventions, où la volonté générale trouve son expression finale et définitive, avant l’élection officielle et décisive. On a tâché de donner une expression propre, non seulement aux volontés et aux intérêts individuels, mais aussi aux intérêts collectifs. Le Sénat est censé représenter les États de la Confédération. Le président est élu par une représentation proportionnée à l’entité des différents États. Le Sénat à une voix dans la nomination des hauts fonctionnaires. Pour le reste, le pouvoir exécutif a été rendu indépendant du pouvoir législatif. Le pouvoir judiciaire a été chargé de contrôler les actes de l’un et de l’autre. Le gouvernement a été, pour ainsi dire, émietté et répandu dans tout le corps de la nation.

Cependant, tout cela ressemble bien à un château en Espagne.

De même qu’en économie, la libre concurrence repose sur la fallacieuse supposition de l’égalité des conditions, de la possibilité de déplacement des individus et des capitaux et du libre choix du consommateur ; ainsi en politique le système représentatif est basé sur une triple supposition : que l’électeur sache pour qui il vote ; qu’il comprenne sur quoi il vote ; que son vote ait son réel effet sans consultation et arrangement préliminaires avec d’autres votants. Or, chacune de ces suppositions est absolument fausse dans la grande majorité des cas, et le fait est, comme l’a dit M. Charles-C.-P. Clark, que poussé par des meneurs, qu’on n’a pas choisis, on vote pour des candidats qu’on ne connaît pas et on les charge de fonctions dont on ne se fait la moindre idée.

En résumé, les élections ne sont pas faites par la masse, mais par les partis, ou plutôt par les meneurs. Les membres du Tammany prêtent serment, en entrant dans l’organisation, « d’obéir à tous les ordres du comité central (lequel agit en secret) et de voter pour tous les candidats qu’il aura choisis ». Les registres des primaires sont falsifiés et la nomination des délégués aux conventions est faite préalablement à la convocation des assemblées primaires par le comité réuni en conclave.

Les places publiques sont mises à l’encan et adjugées au plus offrant. Une candidature au Congrès vaut de 20,000 à 40,000 dollars. Un juge, qui va recevoir un appointement de 15,000 dollars par an, en paie 10,000 à la caisse du parti qui l’a fait élire. Les élections sont le résultat de la corruption et de l’intrigue.

Les nominations des fonctionnaires sont faites non pas dans l’intérêt public, mais sous l’influence des politiciens, pour rassasier les cerbères des partis. De même les lois ; on ne se demande pas si elles sont utiles ou nuisibles à la nation, mais si elles feront perdre ou gagner des votes à tel ou tel autre parti. Un Sénat qui est hostile au président le poussera à faire