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de la compagnie, on bâtit des maisons privées. Une épicerie s’ouvre dans le village. Après l’épicier arrive le marchand de bières, saloon-keeper. Puis on bâtit une église. Le terrain est préparé pour le gouvernement, qui alors envoie ses agents, organise la police, établit des autorités, réclame le paiement des impôts et se charge de la protection de la propriété et des intérêts… de ceux qui ont de la propriété. Avec le chemin de fer et la banque, l’organisation du village est complète et il peut désormais grandir et devenir une ville. Les différentes fonctions exercées d’abord par l’unique maître sont partagées maintenant entre différentes personnes, voire même entre des classes. La machine s’est compliquée ; mais l’idée dominante, la force motrice reste toujours l’intérêt du capitaliste.

D’abord, par économie, le peuple est appelé à prendre soin de ses affaires. Les habitants du village peuvent s’assembler, élire leur propre bourgmestre et faire leur propre police. Mais on ne laisse pas ce germe d’une commune indépendante se développer : aux premiers troubles, à la première querelle entre les libres citoyens et le maître de la fabrique ou de la mine, le gouvernement central intervient pour ramener les ouvriers sous la dépendance du maître.

La commune grandissant, le self-government s’efface et le nombre des capitalistes ayant augmenté, ceux-ci acquièrent une influence de plus en plus marquée dans le gouvernement local. Le citoyen disparaît dans le fonctionnaire. Des partis locaux sont organisés sous la direction des grands partis politiques. La politique devient l’occupation de ceux qui n’ont pas d’occupation. Les Tammany et autres rings établissent leur domination dans les villes et dans les États, comme les trusts dans les marchés.

C’est que le self-government ne peut subsister que dans une société d’égaux. Tant qu’il y a une base d’égalité à la société, tout système d’administration fonctionne tant bien que mal. L’égalité une fois disparue, on a beau inventer des freins et des contrepoids aux pouvoirs publics, et une balance et des surveillances réciproques. Tous ces engins-là ne fonctionnent qu’à l’intention des dirigeants. Le gouvernement se centralise de plus en plus et il devient de plus en plus indépendant de la volonté du peuple. La Constitution des États-Unis a été conçue dans un grand esprit de liberté. On a voulu composer un tout organique en laissant libre jeu aux États dans la Confédération et aux individus dans les États. Le suffrage universel a été adopté comme la cheville ouvrière de tout ce mécanisme. On lui a confié le choix non seulement des législateurs, mais aussi d’un grand nombre de fonctionnaires, gouverneurs, juges, et jusqu’aux greffiers et clerks des bureaux. Pour en éviter les surprises, on a donné une organisation au corps des électeurs ; les électeurs vont s’inscrire aux partis et