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sauver. Il faudra bien cacher sa faute pour éviter le déshonneur de toute une famille… »

Le rire me gagnait et cependant je prenais un air contrit ; j’étais là, les mains pendantes, les yeux baissés, — une Madeleine repentante.

Enfin il s’arrêta devant moi et me dit sévèrement :

« Mets toi là, Véra, et écris à l’empereur que tu tombes à ses genoux, le suppliant de t’octroyer la permission d’épouser ton indigne séducteur. Je me charge de remettre la supplique et de tout arranger sans bruit. »

Je voulus remercier le vieillard, mais il m’arrêta froidement : « Ce n’est pas pour toi que je le fais, c’est pour ta mère. »

Tout en écrivant, je me disais qu’en tout ceci il n’était pas question de Sibérie. « Et la Sibérie, demandai-je au comte ? Je veux suivre mon mari en Sibérie. »

Il se mit à rire. « C’est bon, me répondit-il, on ne te demandera pas d’aller si loin. Ta faute une fois couverte, tu pourras vivre où bon te semblera, comme une bonne petite veuve honnête. »

Cela m’effraya, mais je craignais de trop insister et d’éveiller ses soupçons. Tout à coup j’eus une inspiration et lui dis que cette décision d’accompagner mon mari en Sibérie m’était dictée par le désir de faire pénitence et de racheter ainsi ma faute. Le vieillard comprit tout de suite — cela rentrait dans ses idées.

Il en fut touché et dit qu’il ne pouvait que m’encourager. « C’est œuvre pie ! » Il me donna sa bénédiction et me passa au cou une image sainte.

— Et après ?

— Après, tout marcha comme sur des roulettes. Revenue à la maison, je ne soufflai mot de mon expédition. Quelques jours après la propriétaire entra toute bouleversée dans ma chambre, me tendant une carte de visite sur laquelle je lus : S. Ex. le prince Gelobitzki, et plus bas, au crayon : De la part du comte Ralow.

Je compris tout de suite le motif de sa visite et je dis à la bonne femme de faire monter le visiteur. Ce fut un grand émoi dans toute la maison ; le général montait notre vieil escalier branlant qui craquait sous ses pas, son sabre accrochant la rampe ; tous les enfants de la maison étaient sortis pour le voir.

Il entra dans ma chambre. C’était un homme jeune encore, très élégant, avec de longues moustaches toutes droites ; il répandait autour de lui un parfum pénétrant qui se mêlait étrangement à l’odeur de soupe aux choux qui emplissait notre cuisine. Il est probable que jamais encore il ne s’était trouvé dans un pareil logis, mais avec un tact exquis il ne parut s’apercevoir de rien et s’assit dans le fauteuil cassé qu’on lui présentait, avec l’aisance