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de se confesser. Les Zapotèques les tenaient pour des hommes de fer conçus par le Soleil dans le sein de la Mer. Au Yucatan, les étrangers passèrent pour des Hayota ou « hommes du ciel ». De même leurs descendants sont encore appelés Viracocha par les Péruviens. Au Guatémala ils étaient salués avec des encensoirs. Les Xaquesses colombiennes s’agenouillaient, les arrosaient avec des palmes, tandis que les prêtres étendaient de riches étoffes, égorgeaient un enfant aux chairs délicates. À Guachete, on jetait un nourrisson du haut d’un rocher en guise de bienvenue. Lorsque Nicolas Pierrot arriva chez les Poutéouatamis, les vieillards allumèrent un calumet solennel et l’enveloppèrent de tabac  : « Ô forgeur de fer, esprit puissant, loué soit le Soleil qui t’a conduit à notre peuple ! » Et ils l’adoraient, abattaient les branches d’arbres devant lui, aplanissaient son chemin.

En Afrique, les Malgaches reçurent le premier Français en se couchant à ses pieds, implorant qu’il leur marchât sur le corps. Les Azanaghis du Sénégal, comme les Caribes, prirent, pour de grands oiseaux à ailes blanches, les vaisseaux qui leur arrivèrent ; au repos et voiles carguées, ces vaisseaux se transformèrent en poissons ; puis, quand on les vit lever l’ancre, prendre le vent, disparaître dans le lointain, revenir par la suite, on ne douta plus qu’ils ne fussent d’énormes esprits vagabonds. Dans notre siècle encore, Wissmann, Brun-Rollet et du Chaillu passèrent pour des êtres célestes. Thibaut se vit rendre les honneurs divins à Badalik, île du haut Niger : « Les pauvres gens ne voulaient pas s’en aller, il nous fallut accepter du bétail que nous abattîmes, tandis qu’ils dansaient et chantaient comme à leurs sacrifices. Un de nos drogmans leur distribuait des chiffons. Ceux qui n’obtenaient rien, baisaient au moins le sol qu’avaient foulé nos pas… Ils se disputaient les calebasses de lait dont nous n’avions pas voulu, ils en buvaient ou s’en aspergeaient le corps et la tête, puis engageaient des danses lascives menées par les femmes.

« … Les Européens cousinent avec le dieu Hanza, ils n’ont qu’à tracer des signes pour que leurs magasins s’emplissent spontanément d’étoffes et de marchandises. En hissant un drapeau, ils font surgir un vapeur que d’innombrables génies poussent en nageant sous la coque. » Moffat et Thompson voulurent voir un rite dont le spectacle était interdit aux hommes : « Qu’ils entrent, puisqu’ils viennent du Ciel ! » s’écrièrent les Béchuanesses. Non contents d’attribuer la pluie et le beau temps aux missionnaires, les Nicobarais leur demandaient comment ils avaient fait pour créer le monde ?

En Océanie, La Pérouse apparut aux insulaires comme un démon sorti des flots. Même imagination à Nouka-Hiva. Avec la fumée de tabac qui s’échappait de leurs lèvres, les matelots passèrent, dans l’archipel Tokelau,