Page:La Société nouvelle, année 9, tome 1, 1893.djvu/338

Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
la société nouvelle

secondes. Dans la capitale russe, comme dans toutes les grandes villes d’Europe, la prostitution clandestine compte son aristocratie et ses bas-fonds. Les grandes horizontales y sont tout aussi fêtées qu’à Paris. Parmi les prostituées clandestines et les filles inscrites de Saint-Pétersbourg, on rencontre un grand nombre de Françaises et d’Allemandes. La ville compte cent trente-huit maisons de tolérance.

La prostitution clandestine, tout comme à Paris et à Londres, s’exerce dans des maisons de passe plus ou moins élégantes, dans certains débits de boissons et magasins, principalement de modes et de parfumeries. Il ne faut pas oublier les établissements de bains, à la porte ou dans les corridors desquels on rencontre des femmes galantes.

Les prostituées de Londres se divisent en plusieurs catégories. La première comprend les filles qui possèdent un home confortable ; beaucoup ont une grande fortune, hôtel, chevaux et nombreux domestiques. Au-dessous de celles-là, mais toujours dans la même catégorie, on rencontre les filles qui vivent dans leurs meubles et dont beaucoup ont des allures et des goûts de petites bourgeoises. Puis, viennent celles qui logent dans un garni, où elles ramènent, à la nuit, le client qu’elles ont rencontré dans la rue, au concert ou au théâtre. Une autre catégorie comprend les pensionnaires de brothels.

Malgré la ressemblance de nom, ces maisons diffèrent complètement des établissements de tolérance français et russes. Les femmes qui y habitent ne sont pas de malheureuses esclaves, condamnées à la claustration : au contraire, dans l’après-midi et la soirée, elles se répandent par la ville, dans les rues, dans les gares, dans les tavernes élégantes et ramènent le client au « brothel ».

Enfin, viennent les plus malheureuses qui n’ont, à proprement parler, pas de demeure fixe. Nombre d’entre elles vivent dans des bouges appelés du nom significatif de hells (enfers), traînent dans les tavernes, les bars. Beaucoup, qui n’ont pas d’asile, après avoir erré toute la journée à travers l’immensité de Londres, passent la nuit auprès des squares, dans les parcs, les terrains vagues et les maisons en construction. Les filles qui font partie de cette troisième catégorie sont pour la plupart mineures et plus nombreuses que les autres : on peut évaluer leur nombre à plus de quarante mille.

Il n’y a pas un pays en Europe où les femmes s’enivrent autant qu’en Angleterre. Les salaires, tout comme les loyers, sont payés à la semaine ; le plus souvent, dans la classe pauvre et travailleuse, il ne reste rien le lundi de la paye reçue deux jours auparavant. Alors, tandis que le mari rentre au bagne patronal, vivant souvent de pommes de terre, de tartines au beurre et de thé, la ménagère apporte tout ce qu’elle peut chez le