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la prostitution en russie

femmes qui veulent éviter une méprise fâcheuse passent, le soir, de l’autre côté, un sac à la main.

Les grandes villes de Russie, comme celles de France et d’Angleterre, possèdent des maisons d’asile, appartenant soit à la commune soit à des particuliers. À Saint-Pétersbourg, principalement, on remarque les grands bâtiments appartenant à un philanthrope, le prince Viasemsky, et que sous-louent en parties des personnes qui vendent le coucher à des malheureux des deux sexes pour la somme modique de 2 kopecks (1 sou). Le soir, les petites chambres sont remplies d’hommes, de femmes et d’enfants, qui couchent pêle-mêle par terre sur les planches. La police arrive de temps en temps, non pour faire respecter les règlements hygiéniques, mais pour opérer des rafles de ces malheureux. Non loin se trouvait le marché de « Alexandrovski rinok », endroit des plus mal famés. Là, dans des cabarets borgnes situés presque au-dessous du sol, et dans un dédale de passages sombres, des femmes de cinquante et soixante ans attirent les hommes et les emmènent dans un bouge ou même à un coin de ruelle quelconque.

La statistique relève moins d’infanticides en Russie qu’en France, pays qui tient le premier rang pour ces tristes cas. En France et en Angleterre, la fille-mère peut apporter librement son nouveau-né dans un hospice d’enfants trouvés. En Russie, où l’infanticide est plus sévèrement puni, il y a à côté de la porte de chacun de ces établissements un berceau dans lequel la pauvre femme dépose son enfant, puis elle sonne et se sauve. Si le gardien sort précipitamment avant qu’elle ait disparu, il commence par poursuivre la mère qui, selon les circonstances, peut être punie. Il prend ensuite l’enfant et l’apporte dans l’établissement. Les seules femmes qui accouchent dans les hospices ont la liberté d’abandonner ouvertement leurs enfants. Très souvent aussi, les filles-mères apportent les petits êtres enveloppés dans leurs langes au seuil d’une riche demeure dont les maîtres n’ont pas d’enfants. Bien des fois, l’abandonné meurt ainsi de froid pendant les rudes hivers. En Angleterre, où l’opinion publique n’est pas sévère, les cas d’infanticides sont bien moins rares qu’en Russie. Les filles-mères de seize et dix-sept ans, abandonnées par les hommes et que l’on rencontre fréquemment dans les public-houses avec un enfant sur les bras, peuvent facilement, si elles le veulent, placer leur progéniture dans un hospice.

Les prostituées sont nombreuses à Saint-Pétersbourg : pourrait-il en être autrement dans une grande ville de plus de 900,000 âmes ? Elles se divisent en deux catégories : celles qui exercent clandestinement et les filles publiques. Le chiffre des premières dépasse infiniment celui des

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