Mais ses nerfs sont trop tendus. Quelque chose lui serre la poitrine et la gorge ; encore un mot, et il lui semble qu’elle va suffoquer.
— Je vous en supplie, ne dites rien ! Je sais tout !… Ces paroles s’échappent de ses lèvres comme un cri étouffé.
Elle bondit de sa chaise et se sauve dans le coin opposé de la chambre.
Wassiltzew ahuri la regardait en silence, complètement décontenancé.
— Véra, mon enfant, qu’as-tu ? murmure-t-il enfin craintivement.
Le son de sa voix dégrisa Véra ; elle comprit qu’elle avait fait une énorme, une terrible méprise.
Que faire et comment la lui expliquer ?
— J’ai pensé… il m’a semblé…, balbutia-t-elle d’une voix inintelligible.
Wassiltzew ne la quittait pas des yeux et son visage, sur lequel se lisaient d’abord la crainte et l’étonnement, prenait une expression presque désagréable.
— Véra, je veux et j’exige que vous me disiez ce qui vous a semblé ! Debout devant elle, il serrait fortement ses mains ; sa voix était dure et métallique ; ses yeux bleus de myope scrutaient son visage.
Sous la pression de ce regard investigateur, Véra sent qu’elle perd toute volonté, toute domination d’elle-même. Elle sait que l’aveu sera terrible, mais fût-il même question de vie et de mort, elle ne pourrait ne pas répondre : il faut qu’elle dise la vérité.
— J’ai cru… que vous étiez amoureux de moi ! murmure-t-elle d’une voix entrecoupée.
Wassiltzew lâcha ses mains comme si un serpent l’eût mordu.
— Véra, Véra ! Vous ne valez pas mieux que les autres ! cria-t-il d’un ton de reproche en quittant la chambre.
Véra resta seule, anéantie.
— Quelle honte ! comment vivre après cela ? fut sa première pensée quand le lendemain matin elle se réveilla après quelques heures d’un sommeil fiévreux.
Le jour commençait à peine. Ses sœurs dormaient encore d’un profond sommeil.
Hier, elles n’avaient rien remarqué, rien soupçonné ; mais que diront-elles quand elles sauront ! Avoir été pendant tout un mois l’héroïne d’un roman, et n’être plus qu’une petite fille sotte et outrecuidante ! Quelle honte, quelle honte !
Véra cache sa tête sous la couverture et pleure amèrement, convulsivement, mordant son oreiller pour ne pas être entendue.
Lise se retourne dans son lit. Les deux sœurs commencent à s’éveiller.
— Pourvu qu’elles ne remarquent rien !