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DITHYRAMBES ET DIONYSOS[1]


DERNIÈRE VOLONTÉ


Mourir ainsi, — comme un jour je le vis mourir, — Lui, l’ami, qui lança ses éclairs et ses regards — divinement dans ma sombre jeunesse ! — Joyeux dans son courage et profond, — il dansait dans la bataille.

Le plus joyeux des guerriers, — le plus puissant des vainqueurs, — chargeant un destin sur son destin, — dur, pensif, prévoyant, — vibrant à la victoire, — criant la joie, vainqueur en mourant :

À l’heure de la mort il ordonnait, — il ordonnait que l’on anéantît !

Mourir ainsi, — comme un jour je le vis mourir : — en créant la victoire et le néant


ENTRE OISEAUX DE PROIE


Celui qui veut descendre, — que vite — l’engloutit le gouffre ! — Mais toi, Zarathustra, — aimes-tu encore l’abîme, — imites-tu encore le pin ?

Le pin plonge ses racines, où — le rocher même avec épouvante — regarde dans le gouffre, — mais l’arbre s’accroche aux abîmes, — tandis que tout, autour de lui, — veut s’élancer dans le gouffre. — Entre l’impatience — du sauvage roulement, du ruisseau qui bondit, — il attend patient, dur, muet, — solitaire…

Solitaire !… — Qui donc oserait — habiter ces lieux, — surplomber l’abîme ? — Un oiseau de proie peut-être : — il se suspendrait aux cheveux — du tenace Patient, — joyeux de lui faire mal, — grinçant d’un rire fou, — d’un air d’oiseau de proie…

Pourquoi si tenace ? — dit le moqueur cruel : — On doit avoir des

  1. Par ces poèmes se termine l’œuvre du philosophe allemand. Ce sont les dernières pages écrites par lui avant que la cruelle maladie dont il souffrait ne vînt paralyser sa pensée.