Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— « Mais n’avez-vous pas de prisons du tout maintenant ? »

Aussitôt que ces paroles étaient sorties de ma bouche, je sentis que j’avais fait une méprise, car Dick rougissait et se renfrognait et le vieillard me regardait surpris et peiné ; bientôt Dick, d’un ton fâché et pourtant comme s’il se contenait, me dit :

« Comment pouvez-vous faire une question pareille ? Ne vous ai-je pas dit que nous savons ce que c’est qu’une prison par les récits indubitables trouvés dans des livres dignes de confiance et en faisant appel à notre propre imagination ; et ne m’avez-vous pas spécialement fait remarquer que les gens que nous avons rencontré sur les chemins et les rues ont l’air heureux ; et comment pourraient-ils avoir l’air heureux s’ils savaient que leurs voisins étaient enfermés en prison, pendant qu’eux supporteraient cela tranquillement ? Et s’il y avait des gens en prison, vous ne pourriez pas cacher cela au peuple, comme vous pouvez cacher un meurtre occasionnel ; car alors cela n’est pas fait avec préméditation et sur l’instigation de gens qui de sang-froid excitent les meurtriers, comme c’est le cas avec les prisons. Prisons, merci. Oh ! non, non, non ! »

Il s’arrêta et se calma, en disant d’une voix douce : « Mais, pardonnez-moi ! Je n’avais pas besoin de m’échauffer pour cela, puisqu’il n’y a pas de prisons ; je crains que vous ne me jugiez mal en me voyant ainsi de mauvaise humeur. Naturellement, vous venez de l’étranger, on ne peut pas attendre de vous que vous connaissiez ces choses. Et maintenant j’ai peur de vous avoir mis mal à l’aise. »

Jusqu’à un certain point il avait raison ; mais il était si chaleureux dans sa générosité que je ne l’en aimais que mieux. Et je lui dis : « Non, réellement, c’était ma faute, c’est à cause de ma stupidité. Permettez-moi de changer de conversation et de vous demander quel est ce magnifique édifice à notre gauche qu’on aperçoit au bout de cette allée de platanes ? »

« Ah, dit-il, c’est un ancien édifice bâti avant la moitié du XXe siècle, et, comme vous voyez, dans un style bizarre et fantastique pas trop joli ; mais il y a quelques belles choses à l’intérieur, surtout des tableaux ; quelques uns sont très vieux. Cela se nomme la National Gallery. J’ai été souvent intrigué de savoir ce que ce nom veut dire : en tous cas, de nos jours, partout où il y a une place où l’on a réuni des tableaux en permanence comme curiosité, on la nomme National Gallery, peut-être d’après celle-ci. Et il y en a un grand nombre çà et là dans le pays. »

Je n’essayais pas de l’éclairer, trouvant la tâche trop difficile ; mais je tirai de ma poche ma magnifique pipe et commençai à fumer, le vieux cheval trottant de nouveau.

Comme nous roulions, je dis : « Cette pipe est un jouet bien laborieu-