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Qui de vous sait en même temps rire et être élevé ?

Celui qui monte sur les plus hautes montagnes, rit de toutes les tragi-comédies et tragi-gravités.

Courageux, insouciants, moqueurs, violents, ainsi nous veut la sagesse : elle est femme et n’aime jamais qu’un guerrier.

Vous me dites : « La vie est lourde à porter ». Mais pourquoi auriez-vous l’avant-midi votre orgueil, et le soir votre résignation ?

La vie est lourde à porter : mais, ne soyez donc point si douillets Nous sommes tous ensemble de gentils ânes et ânesses bons à être bâtés.

Qu’avons-nous de commun avec le bouton de rose, qui tremble, parce qu’une goutte de rosée repose sur son corps ?

C’est vrai : nous aimons la vie, non point parce que nous sommes habitués à la vie, mais parce que nous sommes habitués d’aimer.

Il y a toujours un peu de démence dans l’amour. Mais il y a toujours aussi un peu de raison dans la démence.

Et à moi aussi, qui aime la vie, les papillons et les bulles de savon, et ce qui y ressemble parmi les hommes, me paraissent en savoir le plus long en fait de bonheur.

Voir voleter ces petites âmes légères, folles, coquettes, mobiles, cela arrache des larmes et des chansons à Zarathustra.

Je ne croirais qu’à un dieu qui sache danser.

Et lorsque je vis mon démon, je le trouvai sérieux, approfondi, profond, solennel : c’était l’esprit de la gravité, par lui tombe toute chose.

Ce n’est point par la colère, mais par le rire que l’on tue. Debout, tuons l’esprit de gravité !

J’ai appris à marcher : depuis je me laisse courir. J’ai appris à voler : depuis je ne veux plus d’abord être poussé pour bouger de place.

Maintenant je suis léger, maintenant je vole, maintenant je me vois au-dessous de moi, maintenant un dieu danse en moi.

Ainsi parla Zarathustra.


DE L’AMI


Quelqu’un est toujours de trop autour de moi », ainsi pense le solitaire. « Toujours une fois un, cela donne, à la longue, deux ! »

Je et me sont toujours trop ardemment en conversation : comment y tenir s’il n’y avait point un ami ?

Pour le solitaire, l’ami est toujours le troisième : le troisième est le liège qui empêche la conversation des deux autres d’aller à l’abîme.