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« Une jolie localité aussi, interrompit Dick, un très joli endroit, maintenant que les arbres ont eu le temps de repousser depuis le grand déblaiement de maisons qu’on y a fait en 1955. »

L’incorrigible tisserand ajouta : « Cher voisin, puisque vous connaissez la forêt comme elle était au temps passé, pouvez-vous me dire quelle vérité il y a dans les bruits qui courent qu’au dix-neuvième siècle les arbres étaient tous coupés en forme de têtard ? »

« Ceci était me prendre par mon côté d’archéologue de l’histoire naturelle, et je tombais dans le piège sans penser aucunement où et qui j’étais ; aussi je commençais, pendant qu’une des jeunes filles, la plus jolie, qui avait éparpillé de petites branches de lavande et autres herbes douces et odoriférantes par terre, s’approchait pour écouter, et se plaçait derrière moi appuyant sur mon épaule sa main, dans laquelle elle tenait un peu de la plante que j’avais l’habitude d’appeler balsamine. La forte et douce odeur de cette plante me rappelait mes jours d’enfance, passés dans le potager de Woodford, et le souvenir me revenait des grandes prunes bleues qui poussaient contre le mur au delà de la bande d’herbes douces, souvenir que tous les garçons comprendront de suite. Je commençais précipitamment : « Quand j’étais gamin, et aussi longtemps après, excepté une partie près de Queen Elisabeth’s lodge et une autre près de High Beech, la forêt était presque entièrement composée de charmilles mélangées de buissons de houx.

« Mais quand la corporation de Londres la reprit, il y a à peu près vingt-cinq ans, les droits des anciennes communes permettant de couper les cimes et les branches, touchaient à leur fin et les arbres avaient la permission de grandir. Mais je n’ai plus revu ces lieux depuis plusieurs années, excepté une fois, quand nous fîmes, avec les ligues socialistes, une excursion d’agrément à High Beech. Je fus bien choqué alors de voir comme on y avait bâti et comme cela était abîmé ; l’autre jour nous entendions dire que les philistins allaient en faire un jardin-paysage. Mais ce que vous affirmiez qu’on a cessé de bâtir et que les arbres peuvent pousser est une trop bonne nouvelle ; seulement vous savez !… »

À ce point je me rappelais tout d’un coup l’époque où vivait Dick et je m’arrêtais court un peu confus. Le tisserand ne remarquait pas ma confusion et dit en hâte, comme s’il s’était presque aperçu de son manque de politesse :

« Mais je me demande, quel âge avez-vous ? »

Dick et la jolie fille éclatèrent de rire, comme si la conduite de Robert était excusable à raison de son excentricité ; et Dick dit tout en riant :

« N’allez pas si vite, Bob ; cette manière de questionner les convives