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Cependant la Tamise était toujours là étincelant sous le soleil et presque à marée haute, comme je l’avais vue la nuit passée rayonnant sous la lune.

Je n’avais aucunement pu secouer le sentiment d’oppression qui m’accablait et n’importe où j’eusse été j’aurais à peine été conscient de la place où je me trouvais ; aussi il n’était pas étonnant que je me trouvasse un peu embarrassé en dépit de l’image familière de la Tamise. D’ailleurs, je me sentais distrait et singulier et me rappelant que les gens prenaient souvent une barquette et allaient nager au milieu du courant, je pensai que je ne pouvais faire mieux.

Il paraît être bien tôt, me disais-je à moi-même, mais j’espère que je trouverai quelqu’un chez Riffins pour me prendre.

Cependant, je n’eus pas à aller jusque Riffins, ni même à tourner à gauche dans cette direction, car juste à ce moment-là je m’aperçus qu’il y avait un débarcadère droit devant moi, en face de ma maison.

En effet, ce débarcadère se trouvait à la place où mon voisin en avait établi un, mais celui que je voyais ne ressemblait pas au débarcadère ordinaire. J’y descendis néanmoins ; au milieu des barquettes vides amarrées un homme était couché sur les avirons dans une solide barquette ; il était évidemment là pour les baigneurs. Il inclina la tête vers moi et me dit bonjour comme s’il m’eut attendu ; je sautai dans sa barque sans prononcer aucune parole et il s’éloigna ramant tranquillement, pendant que j’ôtai mes vêtements pour me mettre à nager. Comme nous avancions, je regardais l’eau et ne pus m’empêcher de dire : « Comme l’eau est claire ce matin ! » « L’est-elle tant que cela ? dit mon conducteur. Je ne l’ai pas remarqué ; vous savez, le flux de la mer la trouble toujours un peu. »

« Hum, disais je, je l’ai vue bien boueuse, même quand la marée basse n’est qu’à mi-chemin. »

Il ne répondit rien, mais sembla un peu étonné. Comme il se maintenait à présent juste contre le courant et que j’avais ôté mes habits, je sautai dans l’eau sans plus de cérémonie. Quand je revins à la surface je me retournai dans la direction du courant et mes yeux naturellement cherchèrent le pont ; mais je fus si extrêmement étonné par ce que je vis, que j’oubliai de jeter les bras en avant et que je descendis de nouveau sous l’eau en faisant rejaillir l’eau à la surface ; quand je fus remonté, j’allai droit vers la barquette, car je désirais poser quelques questions à mon batelier, tellement ce que j’avais entr’aperçu de l’aspect du fleuve, à travers l’eau qui ruisselait sur mes yeux, m’avait stupéfait, quoique je fusse maintenant débarrassé de toute somnolence et de ce sentiment de vertige ; j’étais à présent entièrement réveillé et l’esprit très lucide.

Je montai les marches qu’il avait descendues et il étendit la main pour