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tude, en deux minutes de temps ; mais, contrairement à son habitude, il se réveilla peu après dans ce curieux état où l’on est brusquement, entièrement réveillé, ce qui arrive même à de bons dormeurs, un état dans lequel nous sentons nos facultés prodigieusement aiguisées ; alors toutes les misérables erreurs dans lesquelles nous avons versé, toutes les souffrances et pertes de notre existence se représentent vivement à nous, justement par suite d’excitation cérébrale.

Il resta couché dans cet état, dit notre ami, jusqu’à ce qu’il eût presque commencé à s’en amuser ; jusqu’au moment où le récit de ses stupidités l’amusa et que leur enchevêtrement qu’il voyait devant lui si clairement commença à devenir une intéressante histoire pour lui.

Il entendit sonner une heure, puis deux, puis trois ; après quoi il se rendormit. Notre ami affirme que de ce sommeil il se réveilla encore une fois et qu’après il passa par de si surprenantes aventures, qu’il pense qu’elles doivent être racontées à nos camarades et même au public en général et c’est pour cela qu’il se propose de les raconter maintenant. Mais, dit-il, je crois qu’il vaudrait mieux que je les raconte en parlant à la première personne, comme si c’était moi-même qui les avait éprouvées ; ce qui à la vérité sera plus facile et plus naturel pour moi, puisque je comprends les sentiments et les désirs du camarade dont je peux parler mieux que n’importe qui dans le monde.


CHAPITRE II

Un bain de matin.


Donc, je me réveillai et m’aperçus que j’avais rejeté mes draps ; à cela il n’y avait rien d’étonnant, car il faisait chaud et le soleil luisait glorieusement. Je sautai de mon lit, me lavai et mis en hâte mes vêtements, mais encore quelque peu troublé, à moitié réveillé, comme si j’avais dormi pendant très, très longtemps ; je ne pouvais parvenir à secouer le poids du sommeil. De fait, j’admis plutôt comme une vérité que j’étais chez moi, que je ne le vis réellement.

Quand je fus habillé, je trouvai qu’il faisait si chaud que je me hâtai de sortir de la chambre et de la maison ; ma première sensation fut un délicieux sentiment de soulagement causé par l’air frais et par une agréable brise ; ma seconde impression, quand je commençai à rassembler mes esprits, fut un incommensurable étonnement, car c’était l’hiver quand je m’étais couché la nuit passée et maintenant, s’il fallait en croire le témoignage des arbres du bord du fleuve, c’était l’été, une belle et brillante matinée paraissant être un des premiers jours de juin.