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Cagliostro de la modernité. Dans son art se trouve mêlé, de la façon la plus pernicieuse, ce dont tout le monde a le plus besoin, les trois grands stimulants de l’épuisé : le brutal, l’artificiel et l’innocent (idiot).

Wagner est une grande corruption pour la musique. Il y a découvert des moyens pour exciter des nerfs malades, c’est ainsi qu’il a rendu la musique malade. Son don de créateur n’est pas commun dans l’art : stimuler de nouveau les plus épuisés, rappeler à la vie les demi-morts. C’est le maître à la griffe hypnotique, il renverse comme des taureaux, même les plus forts. Le succès de Wagner — son succès sur les nerfs et par suite chez les femmes — a fait de tout ce monde ambitieux de musiciens les disciples de son art cabalistique, et non seulement le monde ambitieux, mais aussi le monde malin. Aujourd’hui on ne peut battre monnaie qu’avec de la musique malade ; nos grands théâtres vivent de Wagner.


VI

Je me permets de nouveau quelque récréation. Je suppose que le succès de Wagner pût prendre corps, que déguisé en musicien savant et aimable, il se mêlât à de jeunes artistes. Comment croyez-vous bien qu’il s’exprimerait ?

Mes amis, dirait-il, quatre mots entre nous ! Il est plus facile de faire de mauvaise que de bonne musique. Mais que diriez-vous si cela était en outre plus avantageux, plus agissant, plus persuasif, plus enflammant, plus certain, plus wagnérien.

Pulchrum est pancarum hominum. Cela est assez malheureux ! Nous comprenons le latin, nous comprenons peut-être aussi notre avantage. Le beau a ses épines : nous le savons. À quoi bon donc le beau ? Pourquoi ne pas choisir plutôt le grand, le gigantesque qui remue les masses ? Et encore une fois, il est plus facile d’être gigantesque que beau ; nous le savons. Nous connaissons les masses, nous connaissons le théâtre. L’élite de ce qui s’y trouve, des adolescents allemands, des Siegfried cornus et d’autres wagnériens, veut de l’élevé, du profond, du renversant. Nous pouvons encore produire tout cela. Le reste qui s’y trouve, les crétins de l’éducation, les petits blasés, les éternels efféminés, les heureux estomacs qui digèrent, en un mot, le peuple veut de l’élevé, du profond, du renversant. Ils ont tous la même logique : « Qui nous renverse est fort ; qui nous soulève est divin ; qui nous fait pressentir, est profond ». Décidons-nous donc, Messieurs : renversons-les, soulevons-les, faisons-les pressentir. Nous pouvons encore faire tout cela.

En ce qui concerne le « faire pressentir », notre idée du style prend ici