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les plus fâcheuses conséquenses (encore Lohengrin). Que l’on ne devrait jamais savoir trop exactement avec qui l’on va se marier (pour la troisième fois Lohengrin). Tristan et Yseult exaltent le mari parfait, qui dans un certain cas n’a qu’une question : « Mais pourquoi ne m’avez-vous pas dit cela plus tôt ? » Rien de plus simple que cela ! Réponse :

Je ne puis te le dire,
Et ce que tu demandes,
Jamais tu ne peux le savoir.

Lohengrin contient un avis solennel d’avoir à s’abstenir des recherches et des demandes. Wagner touche ici au dogme chrétien : « Tu dois croire et tu croiras ». C’est un crime d’être instruit des choses saintes et sacrées. Le Vaisseau-fantôme prêche ce grand enseignement que la femme fixe, sauve, en style wagnérien, l’être le plus instable. Nous nous permettons ici une question. Admettant que ce fait fût vrai, serait-il désirable par cela même ?

Que devient le Juif errant qu’une femme adore et fixe ? Il cesse d’être immortel, il se marié, il ne nous regarde plus. Traduit dans la réalité : le danger des artistes, des génies, — car ce sont bien là les juifs errants, — réside dans la femme : les femmes adoratrices sont leur perte. Presque personne n’a assez de caractère pour ne pas être perdu « sauvé ». Quand il se sent traité en Dieu, il s’abaisse bientôt aux désirs de la femme. L’homme est lâche devant tout ce qui est éternellement féminin : les petites femmes le savent. Dans beaucoup de cas de l’amour de la femme et peut-être justement dans les plus célèbres, l’amour n’est qu’un fin parasitisme, qui trouve son nid dans une âme parfois, même dans une chair étrangère, hélas ! combien souvent aux frais de l’hôte !

On connaît le sort de Gœthe dans l’Allemagne, vieille fille à la morale vinaigrée. Il a toujours été désagréable aux Allemands. Il n’a eu d’honnêtes admiratrices que parmi les juives. Schiller, le « noble », Schiller qui les souffletait avec de grands mots, leur tenait au cœur. Que reprochaient-ils à Gœthe ? La Montagne de Vénus et le fait d’avoir écrit des épigrammes vénitiennes. Déjà Klopstock lui prêcha la morale ; il y eut un temps où Herder, quand il parlait de Gœthe, employait de préférence le mot « Priape ». Même Wilhelm Meister était considéré comme symptôme de décadence, comme avachissement moral. La « ménagerie du bétail apprivoisé », « l’indignité » du héros courrouçait par exemple Nieburhn, qui éclate, enfin, dans une plainte qu’eût pu psalmodier Biterolf : « Rien ne donne facilement une impression plus pénible, que lorsqu’un grand esprit abandonne ses ailes et exerce sa virtuosité dans quelque chose de parti-