Page:La Société nouvelle, année 8, tome 1, 1892.djvu/122

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 122 —

session de cet autre être. Dieu lui-même ne fait pas exception ici. Il est loin de penser : « Que t’importe, à toi, si je t’aime », il devient terrible quand on ne le paye pas de retour. L’amour — avec cette sentence on reste dans le vrai auprès des dieux et des hommes — est de tous les sentiments le plus égoïste, et par conséquent, lorsqu’il est blessé, le moins généreux (B. Constant).


III

Vous voyez combien cette musique m’améliore ? Il faut méditerranniser la musique. J’ai des raisons à avancer cette formule : le retour à la nature, à la santé, à la gaîté, à la jeunesse, à la vertu, et cependant j’étais un des wagnériens les plus corrompus. J’étais capable de prendre Wagner au sérieux. Ah ! que ne nous a-t-il pas fait accroire, ce vieux sorcier. La première chose que nous offre son art est une loupe ; on y regarde, on ne se fie plus à ses yeux. Tout devient grand, Wagner lui-même devient grand. Quel serpent astucieux. Il nous a dépeint toute la vie comme faite de « sacrifice », de fidélité, de pureté, il s’est retiré du monde pervers en louant la chasteté, et nous l’avons cru.

Mais vous ne me croyez pas ? Vous préférez encore le problème de Wagner à celui de Bizet ? Moi, non plus, je ne le déprécie pas, il a sa magie. Le problème de la rédemption est même un problème très respectable. Wagner n’a pensé à rien plus profondément qu’à la rédemption : son opéra est celui de la rédemption. Ceux qui doivent être sauvés chez lui, sont tantôt un petit homme, tantôt une demoiselle : voilà son problème. Et qu’il varie richement son « Leitmotiv ». Que de rares et profondes modulations ! Qui nous a appris, si ce n’est Wagner, que l’innocence sauve avec prédilection des pêcheurs intéressants (Tannhäuser) ou que même le Juif errant est sauvé et devient homme de foyer quand il se marié (Ie Vaisseau-fantôme), ou encore que des femmes corrompues préfèrent être sauvées par de chastes jeunes gens (Kundry de Parsifal) ou bien que de belles jeunes filles sont sauvées le plus volontiers par un chevalier qui est wagnérien (les Maîtres chanteurs) ou bien que des femmes mariées sont aussi volontiers sauvées par un chevalier (Tristan et Yseult) ou enfin que « le vieux Dieu », après s’être sous tous les rapports compromis moralement, est sauvé enfin par un libre penseur, par un être immoral (Niebelungen) ? Admirez-vous particulièrement cette dernière profondeur de vues ? La comprenez-vous ? Moi, je me garderai bien de la comprendre. Je préférerais plutôt prouver que dénier que d’autres enseignements peuvent encore être tirés des œuvres citées plus haut. Que l’on peut être amené au désespoir ou à la vertu par un ballet wagnérien (encore Tannhäuser). Que ne pas aller au lit à temps peut avoir