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LA CITÉ MERCANTILE


à eugène demolder.


Les maisons se succédaient, uniformes, le long des rues. Si elles différaient en proportions, nulle cependant ne s’enjolivait d’aucun ornement d’architecture, mais les plus cossues avaient des portes sciées dans le meilleur chêne, des serrures ouvragées par les artisans les plus experts ; de fins rideaux de mousseline au milieu desquels on avait brodé des lions debout sur une patte, tirant la langue, projetant la queue, rectifiaient l’éblouissante lumière des après-midi d’été ; de lourdes draperies caressaient de leurs franges soyeuses les personnes qui pénétraient dans les salons ; de monumentales pendules en marbre, en biscuit, en cuivre repoussé, se carraient sur les cheminées entre deux candélabres dont les bougies se garrottaient de bobèches ; les portraits des chefs de famille — la plupart agrémentés d’une décoration — s’étalaient aux murs, glorieusement, dans des cadres dorés qu’un voile de gaze abritait des mouches ; et l’hiver, des paillassons et des bourrelets, fermant toutes les issues, protégeaient les gens contre les morsures du froid.

Les étalages regorgeaient de marchandises. Chez les épiciers, parmi l’entassement des denrées ordinaires, des boîtes en fer blanc, rondes, hermétiquement closes, bombaient des étiquettes où l’on apercevait sous un palmier, à côté d’une signature terminée par un paraphe bizarrement tortillé, un nègre, le torse et les jambes nus, ceinturé d’un pagne, et portant, sur ses épaules, un ballot qui l’éreintait. C’étaient, à la devanture des modistes et des tailleurs, des robes et des complets engonçant des mannequins ; à l’étal des bouchers, d’énormes quartiers de viande, au dessus desquels des plaques de cuivre soigneusement frottées luisaient comme des soleils. De la quincaillerie débordait sur les trottoirs, pendait, en grappes, le long des murs, se balançait à des tringles de fer courbées en demi-cercles au dessus des portes, tandis qu’aux vitrines des joailliers — parmi des bracelets et des montres — des émeraudes, des rubis, des saphirs, et parfois quelques minuscules diamants précieusement déposés dans des boîtes capitonnées, permettaient aux bourgeois de satisfaire leur goût pour les bagues et les breloques.

Et le martelage des enclumes, le ronflement des varlopes, le piétinement des chevaux, le halètement des machines dont on voyait, le soir, les cour-