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XXVII

« On me retint longtemps. Les nonnes enterraient, ce jour-là, l’une d’elles. On chantait l’office du matin, tout doucement marchaient les nonnes dans l’église, vêtues de leurs robes noires. Seule la défunte était en blanc : Elle dort — jeune, paisible, elle sait qu’elle ira en paradis. J’ai baisé, moi aussi, moi, indigne, ta petite main blanche ! J’ai regardé longtemps ton visage : tu es plus jeune, mieux vêtue, plus jolie que toutes, parmi les sœurs tu es comme une tourterelle blanche parmi de simples tourterelles grises. Dans tes mains s’égrènent les chapelets noirs, tu as une petite couronne peinte sur le front, un drap noir recouvre la bière. Tu es comme un doux ange ! Intercède donc, ma belle, auprès de Dieu avec ta voix sainte, pour que je ne reste pas veuve et triste avec des orphelins !…

On porta la bière à bras jusqu’à la tombe et au bruit des chants et des pleurs on enterra la nonne.

XXVIII

« La cène sainte se mit en route, les sœurs chantaient en l’accompagnant, toutes la baisèrent. On entoura d’honneurs la Toute-Puissante : les vieux et les jeunes abandonnèrent leurs travaux, tout le village marchait derrière elle. On lui apporta les malades et les infirmes…

« Je sais, Toute-Puissante, je le sais, tu as séché les larmes de beaucoup… À moi seulement tu n’as pas été miséricordieuse !

 

« Seigneur ! que de bois j’ai coupé ; je ne pourrai pas l’emporter tout… »

XXIX

Ayant fini son travail accoutumé, rassemblé le bois sur la charrette, elle prit les guides et voulut se remettre en route, la veuve. Mais elle resta de nouveau songeuse, elle prit machinalement sa hache et, avec des pleurs entrecoupés, s’approcha d’un grand pin. Ses jambes fléchissaient, son âme était excédée de chagrin : une accalmie se fit dans son désespoir, elle tomba dans une léthargie dangereuse ! Elle s’appuie au tronc, à peine vivante, sans pensées, sans gémissements, sans larmes. Un silence de tombeau dans la forêt. La journée est sereine, la gelée durcit.

XXX

Ce n’est pas le vent qui rage dans le taillis, ce ne sont pas les torrents qui descendent des montagnes, c’est le Roi de la Gelée qui vient inspecter ses possessions.