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creusé le trou, sa femme lui a cousu son linceul — il vous a donné à tous ensemble de l’ouvrage. » Il mugit de nouveau, et, sans but, passa plus loin, l’innocent, et ses chaînes sonnant, lugubres, ses mollets nus luisaient et son bâton laissait sa trace sur la neige.

VIII

On déposa le couvercle à la porte, on mena chez la voisine pour la nuitée Macha et Gricha, transis de froid, et on fit les préparatifs de l’ensevelissement. Lentement, gravement, sérieusement, l’œuvre douloureuse s’accomplit. Pas un mot inutile, pas de larmes visibles.

Il s’est endormi sur sa tâche, la sueur au front, il s’est endormi, le bon serviteur de la terre. Il s’est couché, loin des soucis, sur une table blanche en sapin. Il est couché immobile et grave, un cierge brûle auprès de sa tête, il porte une large chemise de toile et ses pieds sont chaussés de lapti neufs en tilleul : Ses grandes mains calleuses qui ont tant peiné, le beau visage calme, la barbe longue…

IX

Pendant qu’ils préparaient le mort, pas une parole n’a trahi leur chagrin. Ils évitaient seulement de se regarder dans les yeux, les pauvres. Mais voilà la tâche faite, plus n’est besoin de lutter contre la douleur, et tout ce qui s’est amoncelé dans le cœur s’épanche comme un fleuve. Ce n’est pas le vent qui hurle dans l’herbe, ce n’est pas un carillon sonore qui retentit, ce sont les parents de Prokl qui pleurent ; c’est la famille de Prokl qui se lamente :

« Notre bien-aimé, sur tes ailes grises où t’es-tu envolé loin de chez nous ? Pour la beauté, la taille et la force tu n’avais pas d’égal dans le village. Tu étais le conseil de tes parents, — dans les champs un fin travailleur, hospitalier et accueillant aux étrangers… Ta femme et tes enfants, tu les aimais !… Pourquoi as-tu si peu de temps joui de la terre ? Pourquoi nous as-tu abandonnés, ami ? Tes pensées, toutes tes pensées, tes pensées étaient d’accord avec la bonne terre, toutes tes pensées ! Et nous autres, tu veux nous laisser dans le monde orphelins, lavés, au lieu d’eau fraîche, de larmes brûlantes. La vieille mourra de chagrin, ton père non plus ne vivra pas. — Pin dans les forêts sans cime, femme à la maison sans mari !… Pauvre, n’as-tu pas pitié d’elle ? n’as-tu pas pitié de tes enfants ? Lève-toi ? À l’été le champ sacré te donnera une bonne récolte ! Frappe dans tes mains, toi qu’on ne se lasse pas de voir, ouvre tes yeux de faucon, secoue tes cheveux soyeux, ouvre tes lèvres divines ? En signe de joie nous préparerions et de l’hydromel et de la braga enivrante, nous te rendrions ta place à la table. — Mange donc, désiré ami ! Et nous-mêmes, nous nous tiendrions